Et si la Bible, au-delà de sa valeur spirituelle, était aussi un instrument d’influence sociale et culturelle ?
C’est à cette question profonde que s’est intéressé Versace Mumbere Mitimbo, étudiant à l’Université des Sciences de l’Information et de la Communication (UNISIC), au sein de la Faculté de Communication Éducation et Développement (CED), département de Communication pour le Changement de Comportement (CCC).
Sous la direction du professeur Anicet Basilwa, il a soutenu, le 6 octobre dernier, un mémoire intitulé : « Réception des textes canoniques religieux chrétiens (Bible) et changement de mentalité, enquête menée à Kinshasa ».
Cette recherche met en lumière la manière dont les textes bibliques, largement diffusés et interprétés dans les églises congolaises, façonnent, positivement ou négativement, les mentalités et les comportements des croyants, notamment des jeunes.
La Bible, un outil d’influence spirituelle et sociale
Dans le contexte congolais, la religion est omniprésente. Les églises foisonnent, les cultes se multiplient et les pasteurs se positionnent comme guides spirituels, moraux et parfois politiques.
Versace Mumbere explique que son choix de sujet découle du souci de comprendre comment la réception des textes bibliques agit sur la transformation des mentalités.
Pour lui, les textes canoniques chrétiens, officiellement reconnus par les Églises, ne se limitent pas à une fonction religieuse. Ils sont des leviers d’influence sociale :
« Les textes bibliques sont comme un couteau à double tranchant : ils peuvent sauver ou tuer », écrit-il.
Cette réflexion souligne l’ambivalence de la religion, à la fois source d’espérance et outil de manipulation, selon la manière dont elle est interprétée et enseignée.
Entre foi et manipulation : un constat critique
L’auteur s’attaque sans détour à un phénomène bien réel sur la manipulation religieuse et la perte d’esprit critique chez les fidèles.
Selon lui, de nombreux leaders spirituels s’imposent comme des autorités absolues, interprétant les Écritures selon leurs propres intérêts.
Cette tendance, explique-t-il, crée une forme de dépendance psychologique et spirituelle, où le croyant cesse d’analyser et remet toute responsabilité à Dieu, même pour des problèmes purement humains comme l’emploi, la santé, la politique, la justice voir même la sécurité.
« On prie pour un visa alors qu’il s’agit d’un simple document administratif », ironise-t-il, dénonçant la dérive de la foi vers la superstition.
Dans ce contexte, la jeunesse kinoise devient une proie facile pour les faux prophètes, séduits par des promesses de miracles et de délivrances instantanées.
Les enjeux sociaux d’une foi mal comprise
La recherche identifie plusieurs enjeux communautaires majeurs liés à la réception des textes religieux à Kinshasa notamment :
– L’éducation spirituelle et morale de la population ;
– Le changement de mentalité face aux défis sociaux ;
– La cohésion communautaire et la paix sociale ;
– Le rapport entre religion et développement ;
– La lutte contre les fausses interprétations bibliques.
Versace Mumbere montre que la foi, si elle est mal enseignée, peut bloquer la transformation sociale.
Là où la Bible prône la solidarité, le travail et la justice, certains prédicateurs instaurent la peur, le fatalisme et la dépendance.
Ainsi, la parole censée libérer devient parfois un instrument d’asservissement mental.
Une approche méthodologique rigoureuse
Pour mieux comprendre ce phénomène, le chercheur a adopté une approche quantitative, combinant analyse documentaire, observation directe et enquête par questionnaire auprès de la population kinoise.
Les résultats révèlent une forte adhésion des jeunes instruits aux Églises chrétiennes, mais aussi une diversité d’interprétations et de pratiques religieuses.
Beaucoup reconnaissent que la Bible transmet des valeurs positives comme le travail, le respect, l’amour du prochain, mais dénoncent les dérives liées à l’excès de pouvoir des leaders religieux et au conflit entre foi et tradition africaine.
Le sujet étant sensible, certains enquêtés ont montré une réticence à s’exprimer librement, signe que la religion reste un domaine tabou et émotionnellement chargé.
Résultats et constats majeurs
L’analyse des données révèle plusieurs constats marquants quant à l’impact de la réception des textes canoniques religieux sur les mentalités des habitants de Kinshasa.
Les conclusions du mémoire sont :
– Les textes bibliques exercent une forte influence sur les mentalités et comportements à Kinshasa ;
– Cette influence est souvent médiatisée par l’interprétation des pasteurs, qui peut en modifier le sens ;
– Une partie croissante de la population questionne la pertinence de certains enseignements face aux réalités sociales modernes.
Versace Mumbere insiste sur la nécessité de repenser et contextualiser la lecture biblique :
« Leur influence ne peut être ignorée ; elle doit plutôt être orientée, repensée et contextualisée pour devenir un levier de développement et de changement positif. »
Des propositions pour une foi éclairée et responsable
Dans ses recommandations, l’auteur propose des solutions concrètes pour réconcilier foi, raison et développement :
Pour les pasteurs :
– Suivre une formation théologique approfondie et connaître d’autres courants spirituels ;
– Pratiquer une interprétation transparente des textes ;
– Adapter les sermons au contexte culturel et intellectuel des fidèles ;
– Favoriser le dialogue et le feedback après chaque prédication ;
– Éviter de retenir les fidèles par la peur ou la culpabilité.
Pour les fidèles :
– Lire régulièrement la Bible par eux-mêmes ;
– Développer une analyse critique et personnelle de la foi ;
– Ne pas confondre religion et servitude spirituelle ;
– Rechercher la vérité au-delà des discours de foule.
Ces propositions visent à restaurer une foi intelligente, libératrice et active, au service de la transformation sociale.
Une portée sociale et éducative considérable

Le travail de Versace Mumbere apporte une réflexion essentielle sur le rôle de la religion dans la formation des consciences en Afrique.
En valorisant les messages bibliques positifs tout en rejetant les dérives manipulatrices, il propose une lecture moderne et responsable de la foi chrétienne.
« Dieu n’appartient pas à une religion, à un dogme ou à un livre : Il est une conscience infinie », affirme-t-il, appelant à une spiritualité consciente et libératrice.
Cette étude interpelle non seulement les croyants, mais aussi les décideurs, éducateurs et leaders religieux, pour que la foi devienne un moteur de progrès et non un frein à la pensée critique.
Lydia Mangala


