Entre ambitions économiques et impératifs environnementaux, la République démocratique du Congo fait face à ses contradictions pétrolières
L’Institut de recherche Ebuteli a organisé, ce jeudi 30 octobre 2025, à la salle Metena de la Résidence Saint-Pierre Claver à Kinshasa, un forum public autour du thème : « Les paradoxes des ambitions de la République démocratique du Congo dans le secteur des hydrocarbures ».
Modérée par Ange Makadi, responsable de la communication d’Ebuteli, cette rencontre a réuni chercheurs, experts, parlementaires et membres de la société civile pour analyser les contradictions entre la posture écologique de la RDC et sa volonté d’expansion pétrolière.
Un débat au cœur d’une relance controversée du secteur pétrolier
Depuis le lancement, en 2022, d’un appel d’offres portant sur 27 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers, la RDC ambitionne de redynamiser un secteur longtemps resté en marge face à la prédominance minière.
Cependant, si les trois blocs gaziers du lac Kivu ont trouvé preneur, aucun bloc pétrolier n’a été attribué, entraînant l’annulation du processus en 2024.
En 2025, le gouvernement a décidé de relancer la stratégie, redécoupant la Cuvette centrale en 52 blocs pétroliers et annonçant un nouveau code des hydrocarbures, censé être à la fois plus attractif pour les investisseurs et plus respectueux de l’environnement.
Mais, comme l’a expliqué le Professeur Jolino Malukisa, directeur du pilier Gouvernance d’Ebuteli, cette relance s’accompagne de deux inquiétudes majeures notamment la cohérence de la posture climatique d’un pays qui se présente comme solution climatique, et la qualité de la gouvernance.
« Les ambitions pétrolières congolaises reposent sur un système fragile, caractérisé par une insécurité juridique, un déficit de transparence et un manque de données fiables », a-t-il affirmé.
Pollution, gouvernance et dilemme climatique : le triple défi congolais

Les discussions ont permis d’identifier plusieurs failles structurelles qui freinent la transformation du secteur.
D’une part, le cadre légal reste défaillant malgré la loi de 2015 sur les hydrocarbures. D’autre part, un comportement opportuniste des décideurs, souvent motivés par la rente à court terme, compromet la durabilité des politiques publiques. À cela s’ajoute un déficit criant d’investissement et de données techniques sur le potentiel réel du sous-sol congolais.
Le cas de Moanda, seule zone pétrolière actuellement exploitée par la société Perenco, a été cité comme une illustration des dérives possibles.

Pollution des sols et des eaux, torchage illégal du gaz, et conséquences sanitaires graves y sont régulièrement signalés. Pour Pascal Mirindi, coordonnateur de la campagne « Notre Terre sans Pétrole », cette situation doit servir d’alerte nationale.
« Le modèle Moanda ne doit pas être reproduit ailleurs. La RDC ne peut pas se dire pays-solution tout en détruisant ses forêts et ses zones humides », a-t-il martelé.

Il a ensuite mis en garde contre la menace écologique que représentent les nouveaux blocs pétroliers, soulignant que 64 % des forêts intactes et 23 % des aires protégées du pays se trouvent dans des zones ciblées par les activités d’exploration, notamment dans la Cuvette centrale, les Virunga et la Salonga.
Vers une gouvernance pétrolière transparente et durable

Afin de sortir de ces paradoxes et d’éviter de reproduire les erreurs du passé, les participants au forum ont formulé une série de recommandations structurantes à l’attention du Gouvernement, de la société civile et de la communauté internationale.
Ces propositions visent à replacer la transparence, la justice environnementale et la durabilité au cœur des décisions publiques.
Au Gouvernement, les experts recommandent de publier les contrats pétroliers et les rapports d’audit en cours, de sanctionner les sociétés ne respectant pas les normes techniques et environnementales, et de renforcer la transparence dans l’attribution des blocs.
Ils encouragent également l’État à privilégier les financements climatiques et le tourisme écologique comme alternatives économiques crédibles, tout en dotant la Sonahydroc de moyens techniques et financiers, sous la supervision d’audits indépendants.

À la société civile, il a été suggéré d’intensifier le plaidoyer contre la pollution et les violations environnementales, de renforcer la formation des ONG à l’évaluation des impacts écologiques, et de défendre activement les droits des communautés affectées par les projets pétroliers.
À la communauté internationale, les participants ont demandé un appui financier accru à la gouvernance environnementale de la RDC et un soutien à la justice nationale dans la lutte contre la corruption dans le secteur des hydrocarbures.
Entre opportunités économiques et responsabilité climatique
Tout en reconnaissant le potentiel économique du pétrole, plusieurs intervenants ont souligné la nécessité de conditionner toute exploitation à une gouvernance responsable.
José Bafala, ancien directeur de cabinet au ministère des Hydrocarbures, a expliqué que les contrats pétroliers doivent garantir à la fois les incitatifs économiques et la souveraineté nationale sur les ressources.
« Le respect de la loi est la condition première pour que le pétrole devienne une opportunité, pas une malédiction », a-t-il insisté.

De son côté, le député national Émile Balukwishe a salué l’approche d’Ebuteli, qu’il a qualifiée de nécessaire à la construction de politiques publiques cohérentes et ancrées dans la réalité de la transition énergétique mondiale.
La RDC à la croisée des chemins
En clôturant les échanges, les modérateurs ont rappelé que la RDC se trouve à un tournant historique. Elle peut soit reproduire le cycle extractif fondé sur la rente et la destruction écologique, soit amorcer une nouvelle trajectoire de développement durable, fondée sur la transparence, la science et la responsabilité climatique.
« Nous avons le choix soit de continuer à creuser notre tombe avec le pétrole soit de bâtir un avenir digne et souverain », a résumé un participant.
Lydia Mangala


