Je ne m’y attendais pas. Je faisais défiler quelques vidéos, sans but précis. Et puis, je suis tombé sur lui. Sur ce moment figé dans le temps, ce drame en plein concert, cette image de Papa Wemba s’écroulant sur scène. Et là, j’ai senti quelque chose me traverser. Une douleur sourde. Une boule dans la gorge. Parce qu’au fond, ce n’est pas qu’une chute. C’est une mémoire. Une faille. Un rappel violent d’une perte qui dépasse l’homme et touche une identité plus vaste : celle du Sankuru, la mienne, la nôtre.
Comme un soldat tombé sur le champ de bataille, il s’est effondré, tenant son arme dans la main : le micro. Revêtu de son armure : sa voix, son style, son aura. Mourir ainsi, en pleine scène, ce n’est pas un hasard. C’est un symbole. Un message. Une manière forte et silencieuse de dire au monde qu’il était allé jusqu’au bout de sa mission.
Papa Wemba ne fut pas un simple artiste. Il était un univers à lui seul. Une voix capable de réunir des générations, une allure qui dictait le style, une sagesse cachée derrière les lunettes, les chapeaux et les costumes sur mesure. Il alliait tout avec équilibre : la voix et la mélodie, la danse et le geste, l’élégance et la retenue. Il était à la fois star et père, idole et sage. Il était… lui. Unique.
Et puis ce jour-là, il est tombé. Pas n’importe où. Pas dans une chambre froide. Mais sur scène. En Afrique. Devant les siens. Comme s’il avait voulu que sa dernière note, sa dernière image, soit un rappel éternel : l’art jusqu’au dernier souffle.
Et moi, je ne pouvais m’empêcher de penser à ce que ce vide représentait. À ce que sa disparition laissait derrière lui. Non seulement pour la musique congolaise, mais aussi pour cette communauté souvent oubliée qu’il portait avec fierté : la communauté Tetela. Il m’avait donné, à moi et à tant d’autres, la fierté d’appartenir à cette ethnie. Une ethnie qui, bien que riche d’histoire et de valeurs, a longtemps été marginalisée, divisée, étouffée par les clivages internes.
Papa Wemba, à l’instar de Lumumba, nous avait tendu un héritage. Un legs fait d’unité, de fierté, d’élégance, d’amour du peuple. Mais que reste-t-il aujourd’hui de cet héritage ? Que reste-t-il de cette force qu’il incarnait si bien ?
Le Sankuru, cette province qui a vu naître deux des plus grandes figures de notre histoire – Lumumba et Wemba – est aujourd’hui l’une des plus divisées du pays. Une terre de géants devenue le théâtre de querelles mesquines. Une province jadis fière, aujourd’hui en perte de repères, manquant cruellement d’une identité commune. C’est une douleur silencieuse de voir le Sankuru, autrefois bastion de résistance et de dignité, devenir la risée du pays. Une terre historique, déchirée, affaiblie.
La mort de Papa Wemba, comme celle de Lumumba, aurait dû être un cri de ralliement. Un moment de conscience collective. Mais au lieu de cela, c’est l’écho du vide qui résonne encore.
Il est temps que cela change.
Le vrai hommage que nous devons à Lumumba et Papa Wemba ne se trouve pas dans les statues, les slogans ou les chansons posthumes. Il est dans notre capacité à faire de leurs derniers souffles — l’un sur l’échafaud de la politique, l’autre sur l’autel de la musique — un point de départ. Celui d’une renaissance. D’un peuple, d’une culture, d’une province.
Et si mourir ainsi, pour l’un dans le silence d’une exécution, pour l’autre dans le bruit d’un concert, était leur ultime manière de nous dire :
« N’arrêtez jamais le combat, n’arrêtez jamais le spectacle… mais menez-les avec amour, avec unité, et avec honneur »?
Mbokandja Guy


