C’est avec une question simple, presque enfantine, « Est-ce que l’IA peut dessiner un mouton ? », que le Professeur Madimba Kadima Nzuji, enseignant de droit à l’UNISIC et vice-président et chercheur au Larsicom, a introduit sa brillante réflexion sur les capacités, les limites et les implications juridiques et éthiques de l’intelligence artificielle.
En convoquant l’univers poétique du Petit Prince de Saint-Exupéry, il nous invite à penser la création non pas comme une simple reproduction, mais comme un geste profondément humain, habité par l’émotion, l’intuition et l’imaginaire.
Quand l’IA répond à « Dessine-moi un mouton »

Le professeur a raconté avoir posé cette célèbre phrase à ChatGPT : dessine-moi un mouton.
Deux réponses lui furent proposées : la première lui demandait quel type de mouton il voulait ; la seconde proposait de laisser libre cours à l’imagination de l’intelligence artificielle.
C’est la première option qu’il choisit. Mais derrière cette interaction anodine se cache une complexité profonde : l’IA peut-elle réellement comprendre ce que signifie « dessiner un mouton » dans le contexte du Petit Prince ?
Le mouton du Petit Prince : une charge symbolique

Dans l’œuvre de Saint-Exupéry, dessine-moi un mouton est bien plus qu’une demande. C’est un appel à entrer dans le monde de l’enfant, à faire un pas vers l’imaginaire, à créer un pont entre deux solitudes : celle de l’aviateur perdu et celle du petit prince.
Le mouton devient une projection émotionnelle, un besoin vital pour l’enfant, un symbole d’espoir, de compagnie et de mission sur sa planète.
L’IA, quant à elle, même si elle génère une réponse linguistiquement correcte, ne perçoit pas cette profondeur symbolique. Elle associe des mots à d’autres mots, selon des schèmes modélisés, mais sans émotion, sans charge affective.
Création systémable vs créativité humaine

Le professeur oppose deux notions : la création systémable et la créativité véritable. La première est reproductible, réplicable, industrielle : c’est ce que font les IA, notamment dans les novelas ou les scénarios de fiction grand public où la structure narrative est prévisible.
Mais la créativité humaine, elle, est imprévisible, sensible, chargée de vécu. Elle repose sur une capacité que l’IA ne possède pas : celle de remettre en cause le fondement même du raisonnement.
Quand l’humain dépasse la machine

L’humain peut reposer une question autrement, changer de point de vue, déplacer le problème. C’est là que réside une limite fondamentale de l’intelligence artificielle : elle ne fait que ce qu’on lui a appris à faire.
Elle ne crée pas en dehors des cadres de données qu’on lui fournit. Et aujourd’hui encore, ces données sont massivement dominées par des contenus occidentaux.
D’où la nécessité de nourrir l’IA avec des données congolaises, africaines, afin que ses réflexions et productions soient véritablement représentatives de nos réalités.
Le droit d’auteur face à l’intelligence artificielle

Un autre enjeu majeur soulevé est celui de la propriété intellectuelle. Si une IA produit un poème ou une œuvre qui ressemble à une autre déjà existante, cela peut être considéré comme de la contrefaçon.
Or, selon le droit actuel, une œuvre doit avoir un auteur humain pour être protégée. L’IA n’étant pas une personne, son œuvre n’est ni protégée, ni licite, si elle enfreint des droits existants.
Le professeur illustre cette problématique par un exemple : si une IA produit une chanson reprenant la voix ou le style d’un artiste comme Fally Ipupa, cela constitue une violation des droits de la personnalité et du droit à l’image.
Conclusion : l’IA peut écrire « comme » mais pas « ce que »

Pour clore son propos, le professeur rapporte la réponse de l’IA lorsqu’il lui demande si elle peut écrire un livre comme Le Petit Prince.
Elle répond :
« Je peux écrire comme Le Petit Prince, mais je ne peux pas écrire Le Petit Prince. »
Et c’est toute la différence.
La littérature, rappelle Madimba Kadima Nzuji, n’est pas une copie de la réalité. C’est une valeur ajoutée. Et cette valeur ajoutée, pour l’instant, reste le privilège de l’humain.
Lydia Mangala


