Alors que les discours politiques rythment la vie publique en République Démocratique du Congo, leur compréhension véritable échappe bien souvent aux citoyens, aux communicants et aux journalistes.
Pour répondre à cette problématique, c’est dans le cadre de la 4ᵉ édition de la Conférence Women UP, organisée par Le Zénith Magazine dans la salle de conférence de l’Institut National des Arts, que le Professeur Léon Martin Mbembo, éminent universitaire et spécialiste en communication politique, a livré une analyse aiguisée et sans complaisance sur les mécanismes du langage politique congolais.
C’est lors du deuxième panel, intitulé « La communication politique face aux enjeux de l’heure », que le Professeur Mbembo est intervenu, dans un échange riche modéré par Christelle Mpongo, Éditrice Générale du magazine Femme d’Afrique que son intervention, à la fois pédagogique et engagée, a proposé des clés de lecture essentielles pour décrypter les discours politiques dans un environnement marqué par la complexité, la conflictualité et l’imprévisibilité.
L’univers politique congolais : un théâtre d’ombres et de symboles

Pour le Professeur Mbembo, il est impossible de comprendre les discours politiques sans d’abord saisir les caractéristiques intrinsèques de l’univers politique congolais. Celui-ci se distingue par sa complexité, son caractère aléatoire, ses alliances circonstancielles, mais aussi par sa dimension festive, mystique et souvent conflictuelle.
« Le politique en RDC fonctionne sur un mode combinatoire. Les acteurs se déplacent, se recombinent, se retournent, changent de cap et de discours au gré des circonstances », souligna-t-il.
Entre la théâtralisation permanente et les stratégies d’influence, le paysage politique se déploie comme une scène où se joue une pièce aux rebondissements incessants.
Derrière chaque discours, chaque déclaration publique, se cachent des calculs, des enjeux, et des symboles qu’il faut savoir interpréter.
Clés de lecture : au-delà des mots, l’intention

Dans cet environnement brouillé, le Professeur Mbembo a insisté sur la nécessité d’une lecture critique des discours politiques. Il a invité les professionnels des médias, les étudiants en communication et le grand public à s’armer de clés d’analyse lucide.
Un discours politique, expliqua-t-il, ne se résume jamais à son contenu apparent. Il est porteur d’une intention : mobiliser, séduire, diviser, détourner l’attention ou encore préparer le terrain à une action politique. D’où l’importance de toujours questionner le contexte, l’audience visée, le moment choisi, et surtout les non-dits.
Les biais de langage : pièges rhétoriques du discours politique

L’une des contributions majeures du Professeur Léon Martin Mbembo a été l’identification des biais de langage qui minent la communication politique en RDC.
Ces biais, souvent invisibles pour l’auditoire, ont pourtant un impact déterminant sur la perception des messages et la polarisation de l’opinion.
Il a d’abord évoqué le biais de polarisation, qui consiste à dresser systématiquement une frontière entre « nous » et « eux », favorisant ainsi les divisions sociales ou politiques.
Il a ensuite mis en lumière le biais d’exagération, caractérisé par une dramatisation excessive des faits afin de susciter l’émotion ou la peur.
Le biais de désinformation, quant à lui, repose sur la diffusion intentionnelle de fausses informations, tandis que le biais de simplification réduit une réalité complexe à des affirmations binaires ou caricaturales.
Le professeur a aussi cité le biais de légitimation, utilisé pour imposer sa vérité en se réfugiant derrière un mandat politique.
Il a encore mentionné le biais de stigmatisation, qui consiste à désigner un groupe ou une catégorie comme responsable des maux de la société, et enfin, le biais de jargon, qui repose sur un langage trop technique ou élitiste destiné à exclure ou impressionner.
Ces formes de manipulation, qu’il a qualifié de pollution discursive, brouillent le débat démocratique et appauvrissent la conscience citoyenne.
Communiquer pour la paix : trois exigences fondamentales

Dans une approche résolument constructive, le Professeur Léon Martin Mbembo a proposé une vision d’avenir pour la communication politique en RDC. Pour lui, celle-ci doit devenir un outil de construction de la paix, et non d’alimentation des conflits.
Il a ainsi recommandé de bannir les biais de langage au profit d’une parole ancrée dans les faits, de privilégier le dialogue ouvert en évitant les discours revanchards ou agressifs, et de promouvoir une communication inclusive qui tienne compte de toutes les voix, de toutes les réalités et de toutes les appartenances.
À ce titre, il a cité l’exemple sud-africain de l’après-apartheid comme modèle d’inclusion politique et linguistique. Une société qui aspire à la paix doit pouvoir se regarder dans toutes ses composantes.
Eduquer à la lucidité citoyenne

Dans une époque marquée par les tensions politiques et les manipulations informationnelles, il devient urgent de former une génération capable de lire entre les lignes, de résister aux effets de manche et de redonner du sens à la parole politique.
Pour les journalistes, communicants, étudiants et tous les observateurs du champ politique, cette lecture critique est non seulement un exercice intellectuel, mais une nécessité démocratique.
Lydia Mangala


