La musique urbaine congolaise est aujourd’hui au cœur d’un débat sociétal majeur : la cryptophasie. Ce phénomène consiste à utiliser un langage codé, inventé ou volontairement obscur dans les chansons, souvent pour véhiculer des messages à caractère sexuel, violent ou immoral.
Pour Adeodat Likinda Ndaya, étudiant en droit à l’Université Catholique du Congo (UCC), cette tendance soulève d’importantes questions sur la protection des bonnes mœurs, l’éducation citoyenne et la responsabilité culturelle.
Son mémoire, défendu le 12 juillet dernier sous la direction du Professeur Matthieu Telomono Bisangamani, porte un titre évocateur : « Le phénomène cryptophasie dans la musique congolaise face aux bonnes mœurs : cas du DJ Mombochi ».
Un contexte culturel et social préoccupant
La cryptophasie, phénomène répandu dans la musique urbaine, a pris une place importante dans l’univers artistique congolais.
DJ Mombochi est une figure emblématique de cette mouvance. Si elle crée un sentiment d’originalité et d’appartenance chez les jeunes, elle soulève surtout un défi sur l’impact de ce langage codé sur les valeurs sociales et culturelles.
Pour Adeodat Likinda, il ne s’agit pas seulement d’un phénomène musical, mais d’un enjeu sociétal.
La prolifération des messages cryptés à caractère sexuel ou violent pose une question cruciale : quelle influence ont-ils sur les comportements des jeunes, et comment protèger les bonnes mœurs dans ce contexte ?
La problématique : un langage musical qui dépasse la simple créativité
Le mémoire examine le rôle de la cryptophasie comme vecteur culturel, mais aussi comme instrument potentiellement dangereux :
Dans quelle mesure ce langage codé viole-t-il les bonnes mœurs et influence-t-il négativement les comportements sociaux en RDC ?
Les enjeux identifiés sont multiples notamment la perversion des valeurs culturelles, la perte de repères sociaux chez les jeunes et l’affaiblissement du contrôle social.
Objectifs de la recherche
Le travail se fixe comme objectif général d’évaluer l’impact du phénomène cryptophasique dans la musique congolaise sur les bonnes mœurs sociales.
Trois objectifs spécifiques orientent l’étude entre autres identifier les formes de cryptophasie utilisées par DJ Mombochi, analyser la perception du public, notamment des jeunes, face à ce langage et examiner la réponse juridique ou institutionnelle existante.
Méthodologie : un travail qualitatif
L’étude s’appuie sur une approche qualitative, intégrant des entretiens semi-directifs avec des acteurs de la société, une observation attentive des pratiques musicales et une analyse de contenu de la chanson « Mbongo » de DJ Mombochi et du jugement qui l’a condamné.
La population cible est large, concernée par l’impact culturel et social de ce phénomène.
Constats majeurs
Les résultats révèlent des tendances inquiétantes :
– La cryptophasie contient souvent des messages à caractère sexuel, violent ou immoral, qui deviennent banalisés ;
– 70 % des musiques congolaises contemporaines intègrent des éléments promouvant ce type de langage ;
– Il existe une faiblesse notable de la sanction pénale face à ces contenus.
Ces constats mettent en lumière un vide juridique et réglementaire, ainsi qu’un manque de mécanismes institutionnels de régulation culturelle.
Recommandations pour encadrer la musique et protéger les valeurs sociales
Adeodat Likinda Ndaya propose plusieurs pistes entre autres :
– Sanctions pénales et artistiques : interdire temporairement l’exercice de l’art aux musiciens qui portent atteinte aux bonnes mœurs, avec une sanction définitive en cas de récidive ;
– Création d’une plateforme électronique de téléchargement de musique par l’État congolais via le ministère de la Culture et des Arts, permettant un contrôle préalable du contenu ;
– Élargissement de la responsabilité pénale : inclure les danseuses, ingénieurs du son, producteurs et autres acteurs ayant contribué à la création d’une œuvre à caractère contraire aux bonnes mœurs ;
– Encouragement de contenus responsables : inciter les artistes à produire des œuvres respectueuses des valeurs sociales et culturelles.
Pertinence de l’étude
Ce mémoire propose un outil stratégique pour les décideurs politiques, éducateurs, journalistes et juristes qui souhaitent encadrer l’espace culturel congolais.
Il sensibilise également le public, notamment les jeunes, à adopter une lecture critique des contenus musicaux, contribuant ainsi à préserver les bonnes mœurs et promouvoir l’éducation citoyenne.
Le travail d’Adeodat Likinda Ndaya constitue une contribution majeure à la réflexion sur l’intersection entre culture, droit et morale sociale en RDC. Il démontre que la musique, tout en étant un vecteur puissant d’expression, peut devenir un outil de transformation sociale, pour le meilleur ou pour le pire.
Pour l’auteur, l’enjeu est de protéger les bonnes mœurs sans étouffer la créativité, par une régulation intelligente, des sanctions adaptées et une implication active des acteurs culturels et institutionnels.
Lydia Mangala


