Trois décennies de violence dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), marquées par des massacres, des pillages et des déplacements massifs, trouvent un écho historique alors que la RDC vient d’être réélue membre non permanent du Conseil de sécurité pour 2026-2027.
Le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, et 74 autres lauréats ont lancé un appel solennel, relayé dans une tribune du Monde, en exhortant la communauté internationale à mettre fin à l’impunité, à soutenir la justice transitionnelle et à organiser une conférence de paix pour briser le cycle meurtrier.
Un constat alarmant : trente ans de conflits « les plus meurtriers depuis 1945 »
Les signataires rappellent que, depuis 1993, l’Est de la RDC est le théâtre du conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale, avec près de six millions de morts.
En dépit du « rapport Mapping » des Nations unies en 2010, aucune mesure significative n’a été prise pour traduire en justice les auteurs d’exactions : viols collectifs, massacres, déplacements forcés de populations se poursuivent dans un climat d’impunité généralisée.
Les Prix Nobel constatent également que les catastrophes humanitaires s’amplifient : plus de 26 millions de Congolais souffrent de faim sévère, 7,8 millions sont déplacés, et 1,6 million d’enfants privés d’éducation du fait de la destruction ou de la fermeture des écoles.
Les ressources congolaises, source de conflits et complices de l’impunité
Pour les Prix Nobel, les ressources naturelles de la RDC alimentent directement la guerre. Des milliers de groupes armés et des forces étrangères, notamment plusieurs armées et mercenaires soutenus par le Rwanda, pillent les minerais congolais. Ces ressources sont ensuite blanchies, souvent via des réseaux opaques rwandais, pour être vendues sur les marchés mondiaux.
Le résultat est connu : « Les malheurs de la RDC sont ses ressources », écrivent-ils, soulignant l’impact de ces trafics sur la prolongation des hostilités et la déstabilisation régionale.
Appel à l’application de la résolution 2773 et à la fin du soutien militaire rwandais
La tribune insiste sur l’urgence d’appliquer la résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations unies : un cessez-le-feu immédiat, le retrait sans condition des forces rwandaises du sol congolais et l’arrêt de tout appui au M23.
Les signataires dénoncent la tolérance diplomatique qui permet à Kigali de poursuivre son ingérence, au mépris du droit international, et la comparent aux doubles standards observés lorsque d’autres puissances, comme la Russie, s’illustrent par des agressions.
Pour eux, il est inacceptable que la souveraineté d’un pays africain soit ainsi violée en toute impunité.
Une conférence internationale pour faire du conflit congolais une priorité mondiale
Pour sortir de l’oubli, ceux-là mêmes qui ont reçu la plus haute distinction pour leur engagement en faveur de la paix demandent l’organisation d’une conférence internationale.
Cette plateforme, de haut niveau, permettrait de porter le conflit congolais au sommet de l’agenda mondial, de mobiliser des financements et de mettre en œuvre des mesures de stabilisation, à l’image de ce qui se fait pour d’autres crises.
Sans une telle initiative, préviennent-ils, la RDC restera « le conflit le plus négligé au monde », avec des conséquences humanitaires toujours plus dramatiques.
Vers un tribunal pénal international pour la RDC
Au cœur de leur appel, les Prix Nobel plaident pour l’instauration d’un tribunal pénal international dédié aux crimes commis en RDC depuis 1993.
S’appuyant sur le rapport Mapping comme base juridique, ils estiment que seule cette juridiction, indépendante et dotée de mandats contraignants, peut briser la spirale de l’impunité.
Un tel tribunal permettrait de juger les commanditaires et responsables d’atrocités, de réparer moralement les victimes et de jeter les bases d’une réconciliation durable.
Une responsabilité mondiale : « Nous avons tous un bout du Congo dans nos poches »
Denis Mukwege rappelle que l’ensemble des matériaux contenus dans nos téléphones portables, nos ordinateurs ou nos véhicules électriques provient souvent de la RDC.
« Chaque smartphone, chaque véhicule, chaque ordinateur portable contient probablement des minerais venus de RDC ; nous avons tous un bout du Congo dans nos poches », affirme-t-il.
Dès lors, poursuit-il, la communauté internationale doit assumer sa part de responsabilité : garantir la traçabilité des minerais, cesser de soutenir les filières clandestines et faire respecter la valeur de chaque vie congolaise.
Un moment de vérité pour la communauté internationale
À l’heure où la RDC se prépare à siéger au Conseil de sécurité, cette tribune des Prix Nobel fait écho à l’appel de Denis Mukwege, qui voit dans cette nomination « une chance historique pour promouvoir la justice transitionnelle ».
Si la communauté internationale répond à cet appel, elle pourra amorcer un changement décisif : mettre fin aux souffrances du peuple congolais, garantir la justice pour les victimes et restaurer la paix dans la région des Grands Lacs.
Sans quoi, préviennent les Prix Nobel, « la tragédie congolaise continuera de hanter notre conscience collective ».
Lydia Mangala


