Octobre est le mois dédié à la sensibilisation sur le cancer de sein. Raison pour laquelle, votre rédaction a décroché une interview exclusive avec une fervente combattante du cancer du sein particulièrement et une activité dans le secteur sanitaire depuis plusieurs années. À travers sa fondation, plusieurs familles sont touchées et ne cessent de bénéficier de soins. Cela, grâce à son engagement à fort impact qui ne se témoigne plus.
- La rédaction : Pouvez-vous vous présenter et nous raconter brièvement votre histoire personnelle avec le cancer ?
Sharufa Amisi : Je m’appelle Sharufa Amisi, fondatrice et présidente de la Fondation BOMOKO.
Mon histoire avec le cancer n’est pas théorique. Elle est née dans la douleur, quand j’ai perdu des proches atteints de cancers diagnostiqués tardivement et, plus récemment, mes parents qui ont également été diagnostiqués d’un cancer à un stade précoce.
J’ai vu de mes propres yeux ce que cette maladie fait à une famille : la peur, les coûts, le désarroi, le manque d’informations et parfois la solitude.
Cette épreuve a transformé ma vie et m’a poussée à agir pour que d’autres ne se sentent plus jamais aussi impuissants que nous l’avons été.

- La rédaction : Comment votre expérience a-t-elle façonné votre vision de la lutte contre le cancer ?
Sharufa Amisi : Elle m’a appris que la lutte contre le cancer va bien au-delà de la médecine. C’est une question d’humanité, d’empathie et d’accès. Beaucoup de gens meurent non pas faute de traitement, mais faute d’information, de moyens ou de soutien moral. J’ai compris qu’il fallait ramener cette bataille au niveau communautaire, là où les familles vivent, travaillent et élèvent leurs enfants. C’est ce que la Fondation BOMOKO s’efforce de faire chaque jour.
- La rédaction : Quelle est la mission de la Fondation BOMOKO et comment se traduit-elle concrètement sur le terrain ?
Sharufa Amisi : Notre mission, c’est d’informer, prévenir et accompagner. Nous agissons sur trois axes : premièrement, la Sensibilisation, à travers des campagnes phares comme Octobre Rose pour le cancer du sein et Novembre Bleu pour le cancer de la prostate pour briser les tabous et pousser au dépistage ; deuxièmement, l’Accompagnement des malades, à travers le Centre médical BOMOKO, où nous offrons des consultations, des soins et un soutien psychologique ; troisièmement, le Plaidoyer pour encourager les politiques publiques plus inclusives en matière de santé.
- La rédaction : Depuis 2017, quels sont les projets ou actions dont vous êtes la plus fière ?
Sharufa Amisi : Je suis particulièrement fière du Centre Médical BOMOKO, né d’un rêve devenu concret. Mais aussi de nos campagnes de dépistage gratuites qui ont permis à plusieurs personnes de se faire examiner à moindre coût. Je pense aussi à nos témoignages de survivant(e)s : ces personnes qui, après avoir été accompagnées, sont aujourd’hui ambassadrices de la vie.
- La rédaction : Quels obstacles avez-vous rencontrés dans la mise en œuvre de vos initiatives, et comment les avez-vous surmontés ?
Sharufa Amisi : Le principal obstacle, c’est le manque de moyens financiers et la faible implication institutionnelle. Beaucoup de nos actions reposent sur la bonne volonté et les dons ponctuels. Mais à chaque fois, j’ai appris à faire avec peu, mais à faire bien, à mobiliser autour d’une cause juste, et c’est cette foi dans le collectif qui nous permet d’avancer.
Nous faisons face aussi à un défi logistique majeur : pour que la sensibilisation soit réellement efficace, il nous faut des moyens matériels et logistiques afin d’atteindre le maximum de personnes, même dans les provinces les plus éloignées. L’accès à l’information est une étape importante dans la prévention du cancer, et sans un appui concret pour déployer nos équipes sur le terrain, beaucoup restent encore dans l’ombre du silence et de la méconnaissance.

- La rédaction : Qu’est-ce qui motive votre implication dans la pérennisation de la lutte contre le cancer aujourd’hui ?
Sharufa Amisi : C’est d’abord une promesse faite à moi-même : celle de transformer ma douleur en mission. Et aujourd’hui, c’est devenu une cause plus grande que moi. Chaque sourire d’un(e) patient(e), chaque message d’une personne dépistée à temps, chaque vie sauvée… tout cela me rappelle pourquoi je ne dois pas m’arrêter.
- La rédaction : Comment sensibilisez-vous les familles et les communautés sur la prévention et le dépistage du cancer ?
Sharufa Amisi : Nous misons sur la proximité. Nous allons vers les gens – dans les marchés, les écoles, les entreprises, les églises. Nous parlons dans un langage simple, sans jargon médical. Et nous utilisons beaucoup les témoignages réels et les médias sociaux pour faire passer le message : “le cancer se soigne, mais seulement si on le dépiste à temps.”
- La rédaction : Quels sont, selon vous, les plus grands défis en RDC concernant la lutte contre le cancer ?
Sharufa Amisi : Le premier, c’est le coût du traitement, qui reste inaccessible pour la majorité. Le second, c’est le manque d’infrastructures spécialisées pour le diagnostic et de personnel formé. Et enfin, le silence culturel autour de la maladie. Beaucoup de femmes par exemple préfèrent se taire, par honte ou peur. Ce silence tue plus que la maladie elle-même.
La rédaction : Pouvez-vous partager un témoignage fort ou une histoire qui illustre l’impact de la Fondation BOMOKO sur la vie des personnes touchées ?
Sharufa Amisi : Je pense à une maman qui venait du Kongo-Central que nous avons accompagnée en 2019. Elle était au stade 2 du cancer du sein. Grâce à nos interventions dans les radios communautaires, elle nous a contactés et a été prise en charge à temps. Aujourd’hui, elle est guérie, elle travaille, et elle revient chaque année témoigner pendant Octobre Rose.
- La rédaction : Quelle est votre vision à long terme pour la Fondation BOMOKO ?
Sharufa Amisi : Je rêve de voir la Fondation BOMOKO devenir une référence nationale et régionale en matière de prévention et de prise en charge du cancer. À long terme, nous voulons créer une “Maison de Vie”, un centre d’accueil et d’hébergement pour les malades venus de provinces éloignées.
- La rédaction : Quelles collaborations ou partenariats rêvez-vous de mettre en place pour renforcer votre action ?
Sharufa Amisi : J’aimerais renforcer nos partenariats avec les institutions publiques notamment le Ministère de la Santé Publique, Hygiène et Prévoyance Sociale ainsi que le Centre National de Lutte contre le cancer (CNLCC), mais aussi avec des entreprises privées, les ambassades et les organisations nationale & internationales qui partagent nos valeurs et notre combat. Je crois beaucoup en la collaboration multi-acteurs, car aucune structure seule ne peut gagner cette bataille.

- La rédaction : Si vous aviez un message à transmettre aux personnes qui luttent actuellement contre le cancer, quel serait-il ?
Sharufa Amisi : Je leur dirais : Ne baissez jamais les bras. Vous n’êtes pas seules. Le cancer n’est pas une fin, c’est un combat, et il y a des victoires chaque jour. Le plus important, c’est d’y croire et de se battre avec espoir et dignité.
- La rédaction : Comment avez-vous trouvé la force de continuer malgré la douleur et les pertes personnelles ?
Sharufa Amisi : La douleur m’a brisée, mais ma foi m’a reconstruite. J’ai choisi de transformer mes blessures en mission, de faire de ma tristesse une énergie. Quand je vois l’impact de la Fondation BOMOKO, je me dis que je fais dignement ma part.
- La rédaction : Quels enseignements tirez-vous de ce parcours ?
Sharufa Amisi : J’ai appris que la compassion est une force. Que même avec peu, on peut changer des vies. Et que dans ce pays, si chacun faisait juste sa part, on irait beaucoup plus loin.
- La rédaction : Quelle devise ou phrase guide votre engagement ?
Sharufa Amisi : Ma devise, c’est : « La santé, c’est aussi une affaire d’amour, de solidarité et de dignité humaine »
- La rédaction : Un mot de la fin ?
Sharufa Amisi : Je dirais simplement : continuons d’en parler. Le cancer n’est pas une fatalité. C’est une réalité que nous pouvons affronter ensemble. Et tant qu’il y aura une femme, un homme, un enfant qui souffre en silence, la Fondation BOMOKO sera là.
Lydia Mangala


