Femme politique et femme d’affaires, Anne Mbuguje, une chevronnée dans les affaires, ayant pu s’imposer par son parcours professionnel et son dynamisme, inspirant ainsi les personnes autour d’elle.
Dans ce cadre du mois dédié à la femme, votre média a mis les projecteurs sur elle et a relayé cette interview.
Cette année le thème retenu dans le cadre de la célébration de la Journée du 8 Mars 2025 est « Pour toutes les femmes et les filles : droits, égalité et autonomisation ». Que signifie pour vous ce slogan ?
C’est un thème très complet, fédérateur. Il fait écho auprès de toutes les femmes et de celles de la République démocratique du Congo, parce qu’il fait référence à tout ce pour quoi elles se battent. Les droits, de toutes les femmes et les filles, sans distinction d’origine, de statut social, d’ethnie ou de condition physique. L’égalité reste, malgré les avancées législatives, un combat pour atteindre l’épanouissement des femmes. Enfin, l’autonomisation des femmes et des filles doit permettre de leur donner l’accès aux ressources économiques.
Les femmes peuvent entreprendre des plaidoyers pour la paix, en sensibilisant les populations locales, la communauté internationale sur la nécessité de solutions pacifiques et durables.
À travers votre fondation « FAM » et votre implication au sein de l’association Femmes d’exception du Congo, vous militez activement pour les droits des femmes. Quelles actions allez-vous entreprendre en ce mois de mars, dédié aux droits des femmes ?
La Fondation Anne Mbuguje Marembo (FAM) intervient activement dans des domaines essentiels tels que l’éducation, la santé, l’environnement et le développement économique des jeunes et des femmes notamment en zones rurales. Nous œuvrons dans les provinces du Nord-Kivu, de l’Equateur et de Kinshasa. Au sein de l’association Femmes d’Exception du Congo (FDEC), je suis la troisième vice-présidente et présidente de la commission chargée du développement économique de la Femme.
Dans le cadre de FAM nous allons accentuer nos interventions dans la partie est de la RD Congo, qui est le théâtre d’un conflit qui dure depuis trois décennies. Nous allons apporter notre aide notamment aux femmes et aux enfants qui sont les premières victimes.
Dans le cadre de FDEC, nous avons, le 3 décembre 2024, organisé notre premier événement « rencontre d’exception » dont la première édition était consacrée à la « gouvernance inclusive ». En mai 2025, nous comptons organiser notre deuxième édition, qui aura pour thème « l’inclusion financière des femmes ».
Nous organiserons des ateliers consacrés à l’inclusion financière les femmes, en partenariat avec des banques et des organismes de microcrédit. L’objectif poursuivi est de permettre à des femmes de différentes catégories économiques d’avoir les informations de base, les clés pour structurer, gérer leurs finances, qu’elles soient mères au foyer, commerçante dans l’informel ou jeunes entrepreneures.
Vous êtes sénatrice de la ville-province de Kinshasa, la capitale de la RD Congo. Pourquoi cet engagement ?

La politique est un outil puissant pour impulser un changement durable, et comme tous les Congolais, je suis témoin des nombreux défis auxquels mon pays est confronté : accès limité aux services de base, insécurité, inégalités sociales et surtout le manque de représentation des femmes dans les instances de décision.
Mon engagement en politique a été motivé par la volonté d’apporter ma contribution pour un changement mais aussi de servir ma communauté et de défendre les droits des citoyens, en particulier les droits des femmes et des jeunes.
Je suis convaincue que notre pays a besoin de leaders engagés pour bâtir une société plus équitable et que la participation des femmes en politique est essentielle pour garantir une gouvernance inclusive et efficace.
Quels sont les principaux défis que vous avez rencontrés en tant que femme dans la sphère politique congolaise ; comment avez-vous réussi à les surmonter ?

Mon parcours politique est encore jeune, mais il est vrai que j’ai dû faire face, comme beaucoup de femmes, à de nombreux défis ! Nous devons quand même nous réjouir qu’en RD Congo, même si les barrières socioculturelles persistent, les femmes surmontent les préjugés et que depuis l’arrivée en 2019 du président Félix Tshisekedi, les femmes sont promues à des fonctions de responsabilités de haut niveau.
Anne Mbujuge au Sénat Depuis avril 2024, le gouvernement de mon pays est conduit pour la toute première fois par une femme, Judith Suminwa Tuluka ; son gouvernement compte plus de 30% de femmes. Cela représente une réelle avancée. Les jeunes filles congolaises ont davantage de rôles modèles à qui s’identifier.
Pour revenir à votre question, je dirai que le plus gros défi est celui de convaincre quand on est une femme en dépit des postes et fonctions que l’on a pu occuper, l’arène politique est différente. Il faut convaincre, mais il faut aussi des moyens financiers car une campagne électorale coûte très cher.
Le financement constitue un autre obstacle majeur, car les ressources économiques sont encore largement contrôlées par les hommes. Cela limite l’accessibilité des femmes aux fonctions électives et renforce les inégalités en matière de représentation mais nous ne pouvons pas nous laisser décourager !
Vous avez dû faire face à l’opposition d’une autre candidate. Comment avez-vous vécu cette concurrence ?

Il est vrai que le plus grand de mes obstacles n’est pas venu d’un homme mais d’une femme, elle-même candidate sénatrice pour la ville de Kinshasa. Cette situation loin de me décourager quant à l’inexistence de la solidarité entre les femmes m’a au contraire démontré que les femmes sont des hommes politiques comme les autres !
Elles peuvent être prêtes à beaucoup tout comme les hommes pour gagner contre leur adversaire. Cela me rassure, car les femmes ne sont pas de petites personnes fragiles… L’heure n’est pas à la division, mais à l’unité pour une représentation plus juste et équitable des femmes dans la politique congolaise.
Quels sont les sujets, les lois et les réformes que vous défendez au sein du Sénat ?

Je mets un point d’honneur à porter la voix des sans-voix, à promouvoir des réformes visant à améliorer les infrastructures, l’éducation et l’autonomisation économique des femmes. Lors de ma campagne sénatoriale, j’avais présenté un projet construit sur cinq piliers (la sécurité, l’éducation, l’insalubrité, la santé et l’entreprenariat) accès sur la transparence et l’intégrité.
Le Sénat compte neuf commissions permanentes. Dès ma prise de fonction, j’ai tenu à faire partie de la commission chargée de l’élaboration du Règlement intérieur du Sénat, c’était pour moi un moyen de comprendre cette institution dans laquelle j’allais évoluer durant les cinq prochaines années.
Par la suite, faire partie de la commission « Suivi et évaluation de l’exécution des lois, des résolutions, recommandations et des politiques publiques », était pour moi la suite logique dans la mesure où cette commission permet d’avoir une vision globale du travail entrepris au sein du Sénat, qui est principalement un travail législatif.
Vous avez évoqué la situation dramatique de la partie est de la RD Congo. Elle ne semble pas s’apaiser.

Vous avez raison, la situation demeure extrêmement préoccupante. Depuis trois décennies, cette partie de notre pays est le théâtre d’une insécurité chronique marquée par des violences perpétrées par des groupes armés locaux et étrangers. Avec une reprise des armes du groupe armée M23 en 2021 et depuis fin janvier 2025 ce groupe armé a avec l’aide de l’armée rwandaise pris les villes de Goma (Nord-Kivu) et de Bukavu (Sud-Kivu).
Aujourd’hui encore, les populations civiles sont contraintes de fuir leurs villages, les femmes et les enfants sont exposés aux violences sexuelles et aux exactions, et l’accès aux services de base comme la santé, l’éducation, l’alimentation, est limité. La sécurité alimentaire est gravement menacée, notamment en raison des entraves aux activités agricoles.
Nous savons tous aujourd’hui que ce conflit est alimenté par des enjeux géopolitiques, économiques et des rivalités régionales. Après un silence assourdissant, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l’unanimité la résolution 2 773 qui exprime explicitement que le Rwanda est un soutien direct au M23 et qui exige le retrait immédiat et sans conditions des Forces de Défense Rwandaises du territoire congolais, la cessation des hostilités et le démantèlement des administrations illégitimes du M23 sans oublier le respect absolu de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RD Congo. Un geste à saluer.
Nous espérons que la communauté internationale va agir et garantir l’application de cette décision qui est juridiquement contraignante. Le peuple congolais a démontré sa force et sa résilience, nous sortirons plus forts et encore plus unis de cette épreuve.
Les femmes, surtout en RD Congo, ont joué un grand rôle dans la résolution des conflits et la construction de la paix, qu’en pensez-vous ?

Les Congolaises, et particulièrement à l’est du pays, ont toujours été des actrices clés dans la résolution des conflits et la construction de la paix, souvent à travers des approches communautaires, le plaidoyer et la médiation.
Déjà en 1995, la Déclaration et le Programme d’action de Pékin avait déjà mis en avant la nécessité d’intégrer une approche de genre dans la gestion des conflits. Avant 2000, peu d’accords de paix incluent une perspective de genre ou des engagements pour les droits des femmes.
L’an 2000, avec l’adoption de la résolution 1325, qui est née de la nécessité de protéger les femmes et les filles en temps de guerre mais également de garantir leur participation aux processus de paix, a marqué un tournant par la reconnaissance officielle du rôle des femmes comme actrices de la paix, au-delà de leur situation de victimes de conflits.
La paix et la sécurité ne peuvent être pleinement atteintes sans l’implication des femmes ; nous savons que la participation des femmes augmente les chances d’une paix durable.
Quelle pourrait être la contribution des femmes congolaises face à la situation qui prévaut à l’Est ?

La contribution des femmes n’est pas la même durant le conflit et après le conflit, mais quelle que soit la période, elle peut se réaliser à plusieurs niveaux.
Par exemple, les femmes peuvent entreprendre des plaidoyers pour la paix, en sensibilisant les populations locales, la communauté internationale sur la nécessité de solutions pacifiques et durables. Elles sont aussi de très bonnes médiatrices, elles ont des accès privilégiés aux familles, aux communautés et parfois même aux groupes armés, ce qui peut leur permettre d’agir dans la prévention et la résolution des conflits.
De plus, elles sont souvent en première ligne pour aider les victimes des conflits, notamment les déplacés, les orphelins et les survivantes de violences sexuelles. Elles peuvent structurer des réseaux de soutien psychologique et juridique pour les survivantes de violences, développer des initiatives communautaires pour renforcer la résilience des femmes et des jeunes face aux traumatismes des conflits.
J’ajouterai que l’autonomisation économique des femmes est un facteur clé pour stabiliser les régions en conflit. En soutenant des initiatives économiques locales, les femmes peuvent encourager des projets de reconstruction basés sur l’économie locale et former d’autres femmes et jeunes aux activités génératrices de revenus pour réduire leur vulnérabilité face au recrutement des jeunes par les groupes armés.
Enfin, les femmes, en tant que mères, enseignantes et leaders communautaires, peuvent éduquer autrement, en sensibilisant les jeunes aux valeurs de paix et de tolérance, en encourageant la scolarisation des filles et des garçons afin de leur offrir des perspectives éloignées de la violence et empreintes de masculinité positive.
La rédaction


