Il y a des guerres qui se voient, celles des balles, des frontières, des uniformes. Et puis, il y a celles qui ne font pas de bruit, qui se jouent dans les mots, les titres, les traductions et les publications sur les réseaux sociaux. Depuis quelques années, la République Démocratique du Congo affronte une autre forme d’agression : celle de la guerre médiatique, savamment orchestrée par le Rwanda, et amplifiée par une partie de la presse congolaise elle-même.
Une guerre d’influence, pas seulement d’armes
Ce que beaucoup ignorent, c’est que Kigali ne mène pas seulement la guerre avec des armes, mais aussi avec des récits. L’un des plus puissants outils de domination aujourd’hui, ce n’est plus le canon, mais la communication.
Le Rwanda, conscient de la force de l’image et du discours, investit depuis plusieurs années dans les médias, les relations publiques et les réseaux d’influence.
Son objectif est simple : façonner la perception de la guerre à l’Est, rendre son rôle moins visible, moins condamnable, et fragiliser le pouvoir congolais aux yeux de sa propre population et de la communauté internationale.
Cette stratégie fonctionne, car elle repose sur une mécanique discrète : le contrôle du récit. En orientant les narrations, en finançant subtilement certains relais médiatiques, Kigali parvient à influencer ce que la jeunesse congolaise croit, partage et défend sur les réseaux sociaux.
Des journalistes congolais pris dans le jeu
Le plus inquiétant n’est pas que le Rwanda communique, c’est normal pour un pays en conflit, mais qu’il le fasse à travers des voix congolaises. Des journalistes, souvent crédibles, parfois respectés, qui semblent “objectifs” en apparence, mais dont certaines publications laissent entrevoir une forme de loyauté étrangère.
Ces journalistes, conscients du pouvoir qu’ils ont sur la jeunesse, savent comment construire la confiance avant de manipuler subtilement.
Neuf informations vraies, puis une dixième biaisée. Une traduction légèrement modifiée, un mot glissé, un titre formulé différemment… et voilà comment on change la perception d’un discours, d’un événement, ou d’un président.
Prenons un exemple récent. Lors du Global Gateway Forum à Bruxelles, un journaliste congolais très suivi a publié que Paul Kagame aurait “répondu” à Félix Tshisekedi. Or, les enregistrements officiels montrent que Kagame a parlé avant Tshisekedi. Ce n’était donc pas une réponse. Mais la traduction et la mise en scène de cette “réplique” ont suffi à enflammer les réseaux sociaux, à susciter le mépris, à ridiculiser la parole congolaise. Ce n’était pas une erreur, c’était une stratégie.
Quand la désinformation devient arme
Le Rwanda sait que le champ médiatique congolais est vulnérable : absence de régulation réelle, pauvreté des journalistes, manque de formation, politisation extrême.
Résultat : le pays devient un terrain facile pour la guerre de l’information. Kigali l’a compris depuis longtemps.
Pendant que Kinshasa cherche à défendre sa souveraineté militaire, le Rwanda, lui, travaille à miner sa crédibilité, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Les médias, jadis instruments d’éveil, sont devenus, pour certains, des armes de désorientation. On ne cherche plus à informer, mais à influencer. À chaque faux titre partagé, à chaque traduction biaisée, c’est un peu de confiance nationale qui s’érode.
Et cette guerre-là ne se gagne pas avec des armes, mais avec de la lucidité.
Une jeunesse manipulée sans s’en rendre compte
Les jeunes Congolais sont les premières victimes de cette guerre invisible. Hyperconnectés, ils partagent, réagissent, débattent, mais rarement vérifient.
Ils se fient aux captures d’écran, aux tweets isolés, aux extraits vidéos sortis du contexte. Ils deviennent, sans le savoir, des relais de la propagande adverse.
Et peu à peu, sans le réaliser, ils apprennent à mépriser leur propre pays, à ridiculiser leur président, à glorifier un régime étranger qui les méprise.
Ils finissent par croire que le Rwanda est un modèle parfait, que son président est un “visionnaire”, et que le Congo, par essence, est condamné à l’échec.
Ce n’est pas une opinion, c’est un conditionnement.
Une question de loyauté
Le problème du journalisme congolais aujourd’hui n’est pas seulement éthique, il est patriotique.
Informer ne signifie pas trahir. Critiquer ne veut pas dire détruire.
Mais quand on choisit délibérément de déformer la vérité pour fragiliser son propre pays au profit d’un agresseur, ce n’est plus du journalisme, c’est de la trahison.
Le Rwanda a compris une chose que beaucoup de Congolais n’ont pas encore comprise : dans les temps modernes, la guerre ne se gagne plus sur le terrain, mais dans les esprits.
Pour une presse et une jeunesse éveillées
Il est urgent que la jeunesse congolaise réapprenne à vérifier, à douter, à chercher les sources.
Il faut apprendre à consulter les vidéos intégrales, à comparer plusieurs médias, à croiser les faits avant de conclure.
Les jeunes ne doivent plus être des consommateurs passifs d’informations, mais des acteurs conscients de la vérité.
Et les journalistes congolais doivent choisir leur camp : celui du Congo, pas celui de la manipulation.
Il est vrai, et nul ne peut le nier, que les dirigeants de la RDC ne font pas toujours les choses comme il faut. Nous voyons des erreurs, des maladresses, parfois même des décisions qui blessent.. Mais faut-il, pour autant, que cela devienne un prétexte pour nous auto-flageller sur la place publique, pour piétiner sans relâche l’image de notre pays tout en glorifiant ceux qui l’agressent ? Certes, informer c’est un devoir, critiquer c’est un droit, mais dans un contexte de guerre et d’agression, le patriotisme devrait aussi être une boussole.
Parce qu’à force de répéter les mensonges de l’ennemi, et de rester intentionnellement focalisé sur nos erreurs, on finit par leur donner vie.
Et dans cette guerre, le silence des vrais journalistes, comme les mensonges des vendus, tuent autant que les armes.
Freddy Ephraim Yomba
Expert en Communication & Analyste Politique


