I. Contexte des faits
Une femme militaire des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) a été condamnée par un tribunal militaire à dix ans de prison pour violation de consigne, sur la base de l’article 113 du Code judiciaire militaire.
Les faits reprochés consistent à avoir publié sur les réseaux sociaux une photo d’une demande en mariage, dans laquelle elle apparaissait en uniforme militaire.
II. Base légale invoquée : Article 113 du Code judiciaire militaire
L’article 113 dispose :
> “Est coupable de violation de consigne, tout militaire qui contrevient aux ordres ou instructions donnés par son supérieur ou aux règlements militaires, notamment lorsque cette violation compromet la sécurité, la discipline, ou le bon fonctionnement du service.”
La peine prévue peut aller jusqu’à 10 ans de servitude pénale lorsque l’acte est de nature à porter atteinte à la discipline ou à la réputation des forces armées.
III. Interprétation juridique
1. La nature de l’infraction :
L’article 113 vise des actes qui compromettent la discipline militaire ou la sécurité.
Publier une photo personnelle, sans intention malveillante ni atteinte à la sécurité nationale, ne semble pas correspondre à cette gravité.
2. L’élément intentionnel (mens rea) :
L’acte en question relève d’une expression personnelle et d’un événement privé.
Aucun élément ne prouve l’intention de nuire à l’armée, de divulguer des secrets, ou de porter atteinte à la hiérarchie.
3. Proportionnalité de la peine :
Une condamnation de 10 ans de prison est manifestement disproportionnée au regard de la faute commise.
Le principe de proportionnalité est garanti par la Constitution de la RDC (article 19) et par les instruments internationaux ratifiés par le pays (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Charte africaine des droits de l’homme).
IV. Problèmes soulevés par cette décision
1. Atteinte à la liberté d’expression et à la vie privée :
L’acte de publier une photo de mariage relève de la vie privée et du droit à l’expression personnelle. Même dans le cadre militaire, ces droits ne peuvent être supprimés que pour des motifs strictement nécessaires à la discipline ou à la sécurité.
2. Discrimination de genre :
Des précédents montrent que des hommes militaires ont publié des contenus similaires sans être poursuivis, ce qui soulève la question d’un traitement discriminatoire fondé sur le genre, contraire à l’article 12 de la Constitution (égalité de tous devant la loi).
3. Manque de clarté des règlements militaires :
Si aucun texte interne ne prohibe expressément la publication d’images en uniforme dans un contexte non professionnel, la condamnation repose alors sur une interprétation excessive du pouvoir disciplinaire
V. Analyse à la lumière du droit international
Selon les Principes de Pretoria sur la liberté d’expression et la sécurité nationale, toute restriction à la liberté d’expression des membres des forces armées doit :
Être prévue par une loi claire,
Poursuivre un objectif légitime (sécurité nationale, discipline, réputation de l’armée),
Et être nécessaire et proportionnée.
Dans ce cas précis, aucune de ces conditions ne semble pleinement remplie.
VI. Conclusion
La condamnation fondée sur l’article 113 du Code judiciaire militaire pour une simple publication à caractère personnel :
Ne respecte pas le principe de proportionnalité,
Ne démontre pas de lien direct avec une atteinte à la discipline militaire,
Et soulève des doutes sérieux de partialité et de discrimination.
Recommandation :
Une révision du jugement devrait être demandée devant la Haute Cour Militaire, sur la base d’une erreur de qualification juridique et d’une violation des droits fondamentaux.
Le ministère de la Défense devrait également clarifier les règles d’usage des réseaux sociaux pour les militaires afin d’éviter des sanctions arbitraires.
Carine Bianda


